Ça prend aux tripes. C'est la prison de quelque chose qui ne va pas.
Puis, c'est l'idée inconsciente et obsessionnelle de le dire, d'exprimer cette émotion qui ronge. C'est un travail laborieux de recherches, d'observations, d'attentes et de patience. Le trait est la matérialisation de cette parole cachée et sacrée, enterrée en moi. Le trait est ma libération, il est le mot que je ne prononce pas, il m'autorise à m'exprimer, il est ma légitimité et mon guide vers une compréhension de l'existence.
Peindre n'est pas une passion, c'est un état d'urgence et de survie, c'est un équilibre émotionnel.
Ainsi, j'ai naturellement orienté ma création vers le portrait et la figure humaine. Même en dehors de mes travaux, j'ai besoin de lire et de me nourrir au travers d'autres influences et sentir ce qui s'en dégage émotionnellement, je cherche l’expressivité du trait, du regard, de la posture et du mot qui se rapproche au plus prés de l'humain et de ses abîmes.
Alors je peins mes peurs, mes souffrances mais aussi celles que je vois et perçois chez les autres, leurs visages, leurs postures, leurs atmosphères.
Je suis blessée, tous les jours, d'observer l'horreur d'une société contemporaine dans laquelle je vis. Je ne la comprend pas, ni son conformisme, ni son immobilisme et je ne m'y reconnaît pas. Et pourtant je dois vivre avec elle, m'adapter, alors je cris en silence et je peins.
Ce cri est ma parole inconsciente et sacrée. C'est un cri d'impuissance, c'est un cri qui se reconnaît dans l'abandon et l'exil, dans la perte d'un amour et les liens brisés. Il est froid, silencieux et cruel, il raconte le vide de l'être aimé et la perte de l'identité.
C'est un appel. Ce cri, c'est aussi ma renaissance, mon espoir, ma force, ma résilience. Je cherche des vérités comme autant de visages et d'identités qui me manquent dans une société dépourvue de liens. "
Quand je vivrai. Plus je m'avance vers la fin, plus je m'approche de la vie. C'est à la fin que l'on vit par l'embrassement de toute son existence. C'est en s'approchant de notre propre mort que l'on reconnaît à la vie son importance.
(6 avril 2022)
Nos existences se ressemblent ainsi que nos naissances, nos vies, nos morts. Nous expérimentons ces impacts par le prisme de notre sensibilité. Entre ces notions, il y a la relation de cause à effet, la chance, le hasard, Dieu, ou tout autre élément de croyance sociale que chacun veut porter avec lui. Les événements, les expériences même vécus différemment et propres à chacun, n’en restent pas moins semblables dans leur universalité, chacun a chez soi les mêmes photos de naissance, de mariage, les mêmes collectes de souvenirs, même dans des événements collectifs vécus individuellement, la mémoire collective permet à chaque individu de s’identifier et de se sentir comme faisant partie d’un tout. C’est l’idée que l’événement intime est vécu par un lien collectif. L’intime est un levier à une intention de se lier à quelque chose de plus large, communautairement parlant.
L'évolution de ma démarche ne s’est pas faite sans difficulté car explorer autre chose que ce à quoi on est habitué, c’est aussi renoncer à une partie de soi , un temps révolu. Peu à peu l’effacement d'une figuration de départ a laissé place à une liberté du geste et à l’expressionnisme du trait. L’effacement crée en quelque sorte la présence.
Renforcer ce geste pictural est une liberté que je m’autorise.
Oui, mon travail est orienté vers la disparition, le fait que tout a une durée de vie limité. Ce n'est pas seulement l’idée de la mort, c'est aussi la notion d'absence, de manque. Le manque rempli la place vacante créée par l’absence. C’est aussi évoquer la présence par l’absence.
Dans mes peintures, je travaille par enlèvement ou effacement, il y a parfois plusieurs éléments de départ qui au fur et à mesure de l’avancement se retrouve dans le non être.
Le non être, c’est ce que j’appelle cette forme picturale nécessaire en un temps donné mais qui ne saurait aller jusqu’à la finalisation. On pourrait parler d’ébauches, même d'erreurs, de repentirs, mais je trouve que c’est encore différent, c’est un élément du tableau à part entière, un constituant de la trame qui a permis l’élaboration finale. Il y a encore cette notion de disparition nécessaire, indispensable, une sédimentation. Il m'arrive de repeindre une toile. Il y a une forme d’immédiateté du geste que je revendique. L’erreur, la maladresse, le raté font partie de la sédimentation. Ce sont des empreintes ou des traces, une accumulation. Je ne garde que ce qui me surprend, me déstabilise, me donne à penser.
L’enlèvement met aussi en lumière la matière restante. Ici ce qui reste est l’essentiel que je donne à voir. Je n’aime pas le superflu ou le trop qui étouffe et tue.
Je taille la matière pour ne garder qu’un contour juste de l’image, donner à voir le peu pour en dévoiler toute sa puissance.
La disparition est une notion qui m’interroge beaucoup. Qu’est ce qui fait que la présence ne vit que par son absence ? Qu’est ce qui fait qu’on réalise son attachement à un être par le vide qu’il crée ? Désirer quelque chose que l’on a plus ou jamais eu. La question de la mort c’est cela aussi. Tu meurs, tu n’es plus, et pourtant il y a cette chose magnifique que tu peux revivre par l’intention et la mémoire de l’autre. La création c’est aussi cela. Le vide dénonce le plein.
Ce qui caractérise mon travail c’est de pouvoir créer une émotion et que les gens puissent identifier un lien avec leur intime. Travailler sur l’universalité, c’est confronter son regard à celui des autres sur des notions que tout un chacun peut expérimenter. C’est créer des liens aussi, c’est faire revivre.
(Octobre 2020)
J'y mets tout. J'y mets mes peurs, mes doutes, mes fautes, mes repentirs, mes déceptions, mes excuses, mes lâchetés, mes responsabilités, mes incapacités et mes conséquences, mes pertes, mes ignominies, mes remords et mes pardons, mes gains et mes capacités, j'y mets tout ce que je sens et que je nie, tout ce que je vois et que j'oublie.
Je suis un animal.
( à propos de la série " A l'épreuve de nos corps" 20 avril 2022)
